Date(s) de diffusion(s) :
21 mai 2022
21 février 1998
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Provenance :Fichier transmis par Grégoire Lenfant
L'affaire Maurice Dejean
Imaginez la scène. Le général de Gaulle est assis à son bureau, au premier étage de l'Elysée. L'huissier à chaîne introduit un visiteur. L'homme a une soixantaine d'années. Plutôt corpulent, il est néanmoins tiré à quatre épingles. Il s'avance vers le bureau élyséen. Il ne semble pas très à l'aise. Quelques jours plus tôt, il était encore ambassadeur de France à Moscou, l'un des postes les plus prestigieux du Quai d'Orsay, un poste qu'il occupait depuis huit ans. Une sorte de record.

Le général est en train d'écrire. Il n'a pas encore levé la tête. L'ambassadeur est maintenant devant le bureau. Il connaît bien le général, qu'il a autrefois rejoint en 1941 à Londres. C'est un gaulliste historique, un compagnon de longue date. Et pourtant, à ce moment-là, il n'en mène pas large. Et il reste debout devant de Gaulle comme un élève au piquet. Mais soudain, le général pose son stylo. Il lève la tête, dévisage l'ambassadeur et il tonne : 'Alors Dejean, on couche !'. Tout est dit. Enfin, presque tout. Maurice Dejean n'essaie pas de s'expliquer ou de se défendre. C'est vrai. Il a couché. Lui, ambassadeur de France vétéran, dont la carrière s'est fait piéger comme le premier jeune diplomate venu par une jeune Soviétique. Le pire, c'est qu'il n'y a vu que du feu.

Autant le dire tout de suite, cette affaire a été longtemps étouffée. Et dans les années 70, un livre qui relatait en détail la faute de l'ambassadeur de Dejean a même été censuré par son éditeur pour sa version française.

Moscou n'avait pas tort d'oser se rapprocher puisque De Gaulle choisira spectaculairement de quitter l'OTAN. Quelle forme a prise cette tentative de pénétration ? On se souvient d'abord que le pouvoir gaulliste a encouragé, sinon favorisé, les relations franco soviétiques. Pour De Gaulle, qui n'a jamais tenu compte des données idéologiques, c'était avec la Russie, traditionnelle alliée de la France, qu'il fallait amorcer ce réchauffement.

Et en 1960, ce rapprochement a abouti au voyage quasi triomphal que Khrouchtchev a effectué dans notre pays pendant une semaine entière. Mais il ne s'agissait alors que d'améliorer nos rapports diplomatiques et économiques. Et pour être tout à fait juste, il faut aussi ajouter que De Gaulle a été un allié loyal et déterminé pour les Américains, en particulier lors du conflit des fusées de Cuba.

Non, la vraie pénétration a eu lieu à un autre niveau.

Voici quelques lignes de Constantin Melnik, qui a été conseiller du Premier ministre Michel Debré pour les affaires de sécurité : 'Le gaullisme plus que tout autre mouvement pullulait d'agents d'influences de l'agréable KGB dont nous ne sommes jamais parvenus à débarrasser de Gaulle. Ces braves gens n'ont pas dû, bien qu'on ne puisse en apporter la preuve, restés inactifs'. Et l'on prétendra même, après les révélations d'un transfuge soviétique aux Etats-Unis, qu'un proche très proche du général de Gaulle était en réalité un agent de Moscou. C'est l'affaire Topaze. Les noms ont été prononcés, mais l'homme, s'il a vraiment existé, n'a jamais été démasqué.